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Les secrets de tournage des placements de produits

26/03/2015

Pour apparaître à l’écran, les marques financent jusqu’à 5 % du budget d’un film. Mais l’argent n’est qu’une composante des contrats. Les marques peuvent prêter des produits. Et elles sont aussi appelées en renfort pour participer à la promotion des films. Pour bénéficier de ce revenu additionnel, les producteurs acceptent parfois d’adapter leur film pour faire une place aux marques. Décryptage.

En février dernier, un peu avant la cérémonie des Oscars, Transformers 4 a reçu une récompense d’un genre un peu particulier : le prix du film comportant le plus grand nombre de placements de produits. Le site Brandchannel du groupe Interbrand (Omnicom) qui attribue ces « awards » a dénombré 55 marques visibles à l’écran. Armani, Beats, Budweiser, Cadillac, Chevrolet, Coca-Cola, Goodyear, Gucci, Nike, Red Bull… La liste entière serait trop longue. Et encore, le film est en retrait par rapport au précédent volet de la série : en 2011, Transformers 3 affichait 71 marques à l’écran !

Mais le placement de produit n’est pas l’apanage des blockbusters américains. Dans un autre registre, Gone Girl (photo ci-dessus) de David Fincher comptabilise 48 marques visibles à l’écran. Si l’on n’atteint pas ces niveaux en France, 4 ou 5 agences spécialisées se partagent le marché et montent des partenariats entre marques et producteurs. La pratique est généralisée. Même un film comme Un château en Italie de Valeria Bruni-Tedeschi, sélectionné à Cannes, fait apparaître Fiat et Nespresso à l’écran. La présence est discrète, mais elle n’est pas due au hasard.

Mis bout à bout, sur certains films, « les partenariats peuvent représenter jusqu’à 5 % du budget », indique au journal Les Echos Olivier Bouthilier, directeur de l’agence Marques & Films. Les marques privilégient les productions promises à de grosses entrées en salle et, surtout, à une forte audience télévisée. « 80 % des investissements se concentrent sur 20 % des films », constate Jean-Patrick Flandé, directeur de Film Media Consultant.

La pratique du placement de produit est ancienne. Mais de l’avis de l’ensemble des acteurs, elle connaît aujourd’hui un surcroît d’intérêt. Du côté des marques, c’est une façon d’essayer de retrouver l’attention de consommateurs qui se détournent de plus en plus des formats habituels de publicité. Pour Alain Maes, directeur de Public Impact, une agence spécialisée dans la mesure du placement de produit, « on vit une époque de saturation publicitaire où le spot télévisé peut paraître intrusif. En s’intégrant naturellement à l’histoire et au scénario, le placement de produit marque les esprits et ne crée pas de rejet. […] Il ancre la marque dans le quotidien des gens. »

Combien coûte un placement de produit ?

Comme nous le confie dans l’interview ci-après Laurence Devèze, fondatrice de l’agence Star Product, il est très difficile de donner un prix pour un placement de produit. Cela dépend entre autres de l’exposition du produit à l’écran et de la renommée du casting. Dans un entretien à Télé Loisirs, Dominique Bourgeois, directeur associé d’une autre agence spécialisée, Place to be Media, avance une fourchette très large : de 3 000 € pour une petite production à 150 000 € pour une production internationale et « parfois plus si la marque est visible dans plusieurs séquences ».

Un exemple sur un niveau élevé de partenariat, où le scénario s’est adapté pour faire une place à la marque : dans La vérité si je mens ! 3, Gilbert Melki doit annoncer qu’il a investi dans une start-up. « J’estimais plus crédible de citer une société réelle plutôt qu’un nom imaginaire », se souvient le directeur de Marques & Films qui a négocié le partenariat. Melki est ainsi devenu actionnaire de monshowroom.com et les deux fondatrices du site ont apporté quelque 200 000 € à la production.

Souvent l’accord n’est pas uniquement financier

« Il y a un mythe autour du placement de produits : on imagine que les rémunérations sont mirobolantes, tempère Lucian James, président de Agenda Inc., une société de planning stratégique pour les marques de luxe. Or, il n’est pas toujours question d’argent. Les arrangements sont fréquents, qu’il s’agisse de prêts de produits, de cadeaux ou de royalties perçues sur les ventes. Ce qui d’ailleurs à terme peut rapporter gros. »

A la télévision et au cinéma, seul un quart environ des placements de produit serait uniquement rétribué en espèces sonnantes et trébuchantes. Une marque de voiture va, par exemple, proposer de prêter des véhicules pour la durée d’un tournage, des voitures qui pourront être visibles à l’écran, mais qui pourront aussi servir en coulisses à l’équipe de tournage. Dans les contrats, l’argent n’est souvent qu’une composante. La promotion promise par l’annonceur peut être tout aussi importante. Pour la sortie de Boule et Bill, Frolic a par exemple mis sur le marché 2 millions de boîtes de croquettes pour chien à l’effigie de Bill.

A une autre échelle, Heineken est rentré dans le scénario d’un des James Bond : dans Skyfall, l’agent 007 délaisse le martini le temps d’une bière Heineken. Le brasseur aurait déboursé 35 millions de dollars pour cette gorgée de bière, mais l’accord lui permettait aussi d’associer son image à celle de Daniel Craig. La marque a complété son investissement dans le film par plusieurs dizaines de millions de dollars supplémentaires afin de mener une campagne de publicité dans 170 pays dans le monde, la mettant en scène avec l’acteur qui incarne James Bond. Cette participation à la promotion du film est un des aspects du partenariat qui intéresse particulièrement les producteurs. Car les budgets marketing des films explosent, plus de 100 millions de dollars pour la promotion de Skyfall. Alors, tout ce qui contribue au battage médiatique lors de la sortie d’un film est bienvenu.

« Les placements de produits dans les clips ont dépassé ceux des films »

Le placement de produit gagne toutes les sphères de l’industrie du divertissement. Il devient ainsi un des éléments de financement des séries et téléfilms. Un exemple parmi tant d’autres : dans l’épisode de la série Joséphine Ange gardien diffusée en novembre dernier sur TF1, le personnage principal devait monter sa propre entreprise. Suite à l’intervention de l’agence Place to be Media, ce personnage s’est lancé dans la vente de lingerie à domicile, sous le nom de Charlott lingerie, l’entreprise n°1 sur ce marché.

Le placement de produit est aussi très en vogue dans les clips musicaux. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel affirme même au Parisien qu’à la télévision « les placements de produits dans les clips musicaux ont dépassé ceux des films ». Pour l’industrie du disque, en crise du fait notamment du piratage, c’est un revenu additionnel. Et pour les marques, c’est un moyen de toucher une cible jeune. Récemment, on a ainsi pu voir Lacoste dans un clip de Julien Doré.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, à l’instar des scénarios de films, les chansons s’adaptent parfois pour laisser de la place aux annonceurs. « Sur le clip de Je te donne, nous avons ajouté des notes de clavier pour pouvoir mettre à l’image un orgue Casio, explique Laurent Bonnet, de My Major Company, le label de Grégoire et Génération Goldman. Nous n’avons plus trop le choix, car cela peut payer un clip. »

L’avenir ? Une nouvelle ère se profile, celle du « brand entertainment ». Au lieu de s’associer à des productions dirigées par d’autres, les marques deviennent elles-mêmes productrices de contenus. Et elles se placent au cœur de l’intrigue. Le film La Grande Aventure Lego en est l’expression emblématique. La marque y développe son propre univers pour divertir les consommateurs. Avec succès : le film a généré 500 millions de dollars de revenus l’an dernier. La Grande Aventure Lego accueille même du placement de produit, faisant référence à Apple dans ses dialogues. Une marque qui, pour divertir, parle de marques dans un film, de quoi donner le vertige !

Plus d’infos : 
Le placement de produit : une efficacité redoutable (e-marketing.fr) 
Comment fonctionne le placement de produits dans les films ? (Télé Loisirs) 
Les marques, des figurants bankables (Les Echos) 
Une petite pub dans ta chanson ? (Le Parisien) 
L’agent 007 : un héros au service des marques