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« L’avenir est à la créativité bas carbone ! »
25/08/2023Aura-t-on honte demain de travailler dans le secteur digital devenu trop polluant, comme certains ont honte aujourd’hui de prendre l’avion ? C’est une hypothèse qu’Ivan Beczkowski, Chief Creative Officer de BETC Fullsix, veut à tout prix éviter. Il défend des pratiques numériques responsables, qui profitent à la planète, aux consommateurs et aux entreprises.
« Cliquer, c’est polluer ». C’est le nom d’un ouvrage destiné aux jeunes générations et publié par BETC Fullsix. La démarche peut surprendre de la part d’une agence qui regroupe les forces digitales du Groupe Havas…
Ivan Beczkowski : Je suis depuis longtemps attentif à la question de la sobriété numérique justement en tant que patron d’une agence digitale qui doit anticiper les bouleversements que connaît régulièrement notre métier. S’il ne s’y prépare pas, le secteur du digital va connaître le syndrome des compagnies aériennes frappées par le « flight shaming », la honte de prendre l’avion à cause de son impact environnemental.
Je souhaite par ailleurs vraiment vivre dans un monde où le digital se développe. Je ne veux pas arrêter d’utiliser Internet, ou que mes enfants doivent arrêter. Mais cela signifie des arbitrages. Toutes les dépenses énergétiques et en matériel ne sont pas permises.
Face à ces convictions professionnelles et personnelles, partagées avec les équipes de BETC Fullsix, nous ne voulions pas être les haut-parleurs d’une parole un peu convenue sur le réchauffement climatique et la réduction de l’empreinte carbone. D’où l’idée de publier un ouvrage destiné aux adolescents et aux jeunes adultes, Cliquer, c’est polluer, chez 404 Éditions. Nous avons passé plus de six mois à accumuler des données et à concrétiser ce que l’on avait envie de leur raconter. Ce travail nous a permis d’affiner notre propre vision du problème et de la façon dont nous voulons le gérer.
Comment est-ce que cela se traduit dans les solutions que vous proposez à vos clients ?
Nous nous sommes rendus compte que notre posture était en fait assez simple. Le problème le plus important, qu’il faut régler au plus vite, ce n’est pas la bande passante ou la transmission de données, c’est le matériel. 80 % de l’empreinte carbone liée aux usages numériques vient des appareils que nous utilisons. Avec des impacts sur l’environnement tout au long de leur cycle de vie, de l’extraction minière de composants pour leur fabrication jusqu’à leur recyclage.
La France a fait passer des lois contre l’obsolescence programmée. Mais il est aussi possible d’agir quand on est éditeur de services et que l’on fournit les contenus qui vont dans ces appareils, pour faire en sorte qu’ils ne soient pas réservés aux tout derniers smartphones. Cet élitisme encourage les consommateurs à toujours vouloir les derniers modèles, plus puissants, plus rapides…
Concrètement, nous avons travaillé sur l’écoconception des services, pas seulement dans l’idée que les sites soient plus sobres et plus légers, mais surtout pour produire des sites affichables par le plus grand nombre possible de terminaux, sans inciter les consommateurs à renouveler leur matériel. Cette approche crée bien sûr des contraintes. Cela conduit, par exemple, à se tenir à l’écart du métavers, qui est à la fois une usine énergétique et une usine à devices, coûteuse pour le porte-monnaie et la planète pour une valeur ajoutée souvent interrogeable.
Les entreprises viennent vous voir en vous demandant des sites plus responsables d’un point de vue environnemental ?
Ce n’est pas encore 100 % des cas. Mais de nombreux clients y sont sensibles. Dès 2019, nous avons réalisé pour la Fondation EDF un premier site conçu selon un référentiel d’écoconception assez strict. Et aujourd’hui, la question figure de plus en plus dans les grands appels d’offres. Il a fallu plus de 15 ans pour que l’accessibilité des sites devienne une norme pour les services publics et les grandes entreprises. Il me semble que cela va beaucoup plus vite pour l’écoconception. La France a d’ailleurs été pionnière avec la loi REEN visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique. Elle pose entre autres la création d’un référentiel général d’écoconception, fixant des critères de conception durable.
Mais l’écoconception s’apparente encore souvent à la rénovation énergétique des logements : les gens se lancent quand ils ont un projet immobilier. Ils veulent aménager les combles et ils en profitent pour mieux isoler, changer le chauffage, etc. C’est pareil pour nos clients : ils doivent refaire leur site, et ils y trouvent l’occasion de se lancer dans une démarche d’écoconception. Il est pourtant possible de ne pas attendre une rénovation totale pour améliorer les performances environnementales. Des éléments du référentiel d’écoconception peuvent s’appliquer sur un site existant. On peut faire de la rénovation énergétique de sites Internet.
Le digital responsable sera-t-il demain un argument de préférence de marque, comme peut l’être aujourd’hui le recyclage ?
C’est évident. L’urgence climatique s’impose à tous. Au-delà, il y a une convergence des intérêts, entre la planète, les entreprises et les consommateurs. L’écoconception des sites va très souvent de pair avec une plus grande efficacité des services, notamment en e-commerce. Car la sobriété, c’est de l’aérodynamisme. Ce sont des sites plus légers, qui vont plus vite pour afficher les réponses, et qui vont aussi plus vite à l’essentiel. Cela intéresse à la fois les e-commerçants et les clients.
Quels sont les autres leviers pour améliorer l’impact environnemental du numérique ?
La sobriété, ce n’est pas qu’une question de conception technique des sites. Je peux vous donner deux exemples de bénéfices d’un CRM écoconçu. Le ciblage, tout d’abord. La première chose à faire quand on veut mettre en place un CRM plus responsable est de bien cibler. Cela veut dire moins d’envois de messages et se concentrer là où il y a de la valeur ajoutée. La performance data profite à l’entreprise, au consommateur qui est moins inondé, et à la planète.
Deuxième levier : les preference centers. C’est-à-dire donner la possibilité au client de préciser ses centres d’intérêt et de choisir la fréquence de la relation avec une marque. Cela se développe de plus en plus et c’est une très bonne pratique d’écoconception. Vous envoyez moins d’e-mails et ils seront plus lus. Tout le monde est gagnant.
La sobriété n’est-elle pas un frein à la créativité ?
Je crois au contrainte à une créativité bas carbone. Comment dans le cadre d’une contrainte arriver à se montrer inventif, ingénieux, créatif ? Nous avons un exemple en interne : nous avons un vélo d’entraînement dans notre salle de gym sur lequel nous avons installé un rotor d’éolienne pour générer de l’électricité. Ce vélo alimente un serveur web placé sur le devant. Nous y avons hébergé pendant un an notre rapport RSE, alimenté par deux heures de vélo par semaine. Cela suffit pour faire tourner un site d’entreprise d’audience moyenne. Nous en avons fait une opération participative, amusante et très pédagogique sur l’efficacité environnementale.
Autre exemple : pour une campagne EDF, nous avons invité les gens à retirer les photos un peu honteuses ou inutiles de leur compte Instagram. C’était à la fois bon la planète et bon pour leur image ! Nous cherchons à mener des campagnes qui s’inscrivent à la fois dans une ingéniosité et dans une logique bas carbone. Les contraintes et les injonctions à la sobriété ne doivent pas être une perte de créativité et se résumer à une standardisation à l’extrême. C’est un nouveau terrain de jeu créatif. C’est important car je nous souhaite un avenir durable, mais un avenir dans lequel on ne s’ennuie pas.