Laura Lange • Savoir battre la mesure du changement

Laura Lange
Docteure en philosophie pratique et conférencière

Laura Lange : L’urgence peut être effectivement au service de l’action. En revanche, elle impose un rythme rapide et fait ainsi courir le risque de la précipitation. Bien souvent, on remarque que les entreprises ont recours au changement plus par crainte de se faire disrupter par la concurrence que par un réel désir de proactivité. Dans le contexte actuel, aussi mouvant, les entreprises qui s’en sortent le mieux sont celles qui ont mené une réflexion en amont sur leur propre transformation et qui, poussées par l’urgence, sont capables de la mettre en œuvre dans des délais courts. Urgence et prudence peuvent donc être liées.

Le changement est à la fois naturel et culturel. Pour reprendre la phrase d’Héraclite, “Rien n’est permanent, sauf le changement”, nous rappelle que le rapport au temps induit un perpétuel changement. D’un point de vue culturel, nous avons traversé des périodes qui nous mènent aujourd’hui à ce que l’on nomme l’hyper-modernité. Nous sommes désormais dans un monde où le rapport au présent est consommé, sommé de proposer continuellement de la nouveauté, de l’information, de la connaissance. Les temps changent, c’est une rengaine contemporaine ! Qui plus est dans un avenir incertain voire anxiogène, nous sommes contraints de nous réinventer, ce qui est un point positif ! Les révolutions actuelles qui nous traversent (technologiques, numériques, organisationnelles, environnementales, sociales…) nous poussent à faire preuve d’agilité, de curiosité y compris dans le domaine professionnel dans lequel il est impossible de rester campé sur ses acquis tout au long de sa carrière.

Dans la transformation, il y a toujours l’idée de long cours. Le temps ne doit pas nous écraser, c’est-à-dire que la transformation prend effet au fur et à mesure que le temps s’écoule et, de fait, elle n’est jamais pérenne. “Au moment où j’avais réussi à trouver toutes les réponses, toutes les questions ont changé”. À travers cette pensée, Paulo Coelho résume admirablement les enjeux de la transformation, qui consistent davantage à cultiver la passion de la question plutôt que la pression de la réponse.

La crise du Covid nous a tous plongés dans un état de sidération. Il s’agit moins d’une transformation que d’une métamorphose avec ce qu’elle comporte de soudaineté et de stupéfaction. Dans la transformation, le rapport au temps est beaucoup plus maîtrisé. Aussi, dans ce contexte inédit, les entreprises, bien qu’elles ne soient pas toutes impactées de la même façon, ont globalement dû s’interroger, se remettre en question, faire preuve d’humilité, s’autoriser à douter à voix haute. Cette crise a notamment été une invitation à repenser le lien entre les individus. Des entreprises se sont d’ailleurs rendu compte qu’elles pouvaient continuer de fonctionner sans que les collaborateurs ne se voient (du moins un temps) car leur raison d’être était si claire et forte qu’elle leur permettait “d’en être” même à distance. A contrario, d’autres organisations ont fait le constat que leur management n’était plus adapté : trop pyramidal, trop écrasant, pas assez délégatif, participatif. À n’en pas douter, cette crise interroge le sens du collectif et la force de l’engagement !