On peut avoir suivi un parcours très linéaire, dit “prestigieux”, et repenser intégralement sa carrière au mitan de sa vie professionnelle. C’est le cas de Luc de Brabandere. Ancien directeur de la Bourse de Bruxelles et aujourd’hui philosophe d’entreprise spécialisé en sciences cognitives, il incarne, à travers notre échange, tout le cheminement de pensée qui mène à la créativité. Plongée dans le monde des idées, qui s’épanouissent toujours dans un cadre, contrairement à ce que l’on aime penser.

“Think out of the box*”, expression si chère au langage d’entreprise que l’on ne prend plus la peine de la traduire. Maintes fois entendue, utilisée… Surexploitée ? À en croire Luc de Brabandere, il nous est impossible de penser sans « box », sans socle structurel. “Être créatif, c’est se demander quelle sera la nouvelle boîte.” Le nouveau cadre n’apparaît plus alors comme une contrainte mais comme une condition de la créativité parce qu’il permet la simulation d’un ensemble d’hypothèses nouvelles.   Au lieu de rajouter des strates de complexité, la dextérité de la pensée créative consiste à simplifier les théories, les idées et les stratégies d’entreprise. Mais, dans ce cas, que fait-on de l’innovation ? Comment la raccorde-t-on à la créativité ? “On peut tout à fait innover sans jamais toucher à cette fameuse boîte. L’innovation est - la plupart du temps - un continuum, là où la créativité s’inscrit comme une rupture.” La créativité serait une brèche que l’on taille dans le cadre alors que l’innovation serait un éternel recommencement ? Si l’opposition n’est pas aussi contrastée, rappelons tout de même que l’innovation de rupture est beaucoup plus rare que l’innovation incrémentale (amélioration du produit, du service. etc.)

Selon Luc de Brabandere, “c’est la créativité qui permet à une entreprise d’initier le changement plutôt que de le subir”. Elle apparaît donc comme la condition pour relancer l’innovation, mais que se passe-t-il lorsque ces deux notions ne se rencontrent pas ? “Eh bien, Kodak a beau avoir eu toute la créativité possible dans son domaine d’activité, elle n’a pas su prendre le train de l’innovation et s’inscrire dans la nouvelle marche du monde numérique.” Autre exemple, presque plus étonnant, Sony et le Walkman : “Expliquez-moi pourquoi est-ce Apple qui sort l’iPod alors que Sony avait des années d’avance sur la technologie et n’avait plus qu’à adapter l’usage du Walkman ?” Pour animer les ateliers créatifs auprès des plus grands groupes en tant que Fellow du cabinet de conseil BCG, notre philosophe converti après huit années d’études s’inspire de l’école de Palo Alto, modèle largement utilisé pour mener la conduite du changement organisationnel. Ce système de pensée s’inscrit dans une logique de lien plutôt que de séparation, c’est-à-dire que deux actions malgré leur dualité apparente peuvent se rejoindre (être face à face sans se parler ET communiquer malgré tout). Luc de Brabandere transpose cette théorie aux défis de l’entreprise et explique les deux dimensions du changement dans une organisation. “Le changement réussi est toujours double : l’innovation a pour objet de changer la réalité, la créativité par contre modifie la perception”. En d’autres termes, l’innovation et la créativité sont indispensables à la longévité de l’entreprise à condition de les articuler dans une douce et subtile symbiose. 

* Penser hors du cadre