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Comment l’agilité s’est imposée aux marques

11/06/2020

Depuis la mi-mars, les entreprises n’ont d’autre choix que de piloter à vue, avec très peu de visibilité et sans leurs repères habituels. Un maître-mot s’impose : l’agilité. Nous l’illustrons en 5 thèmes : rapidité d’exécution, écoute des clients, partenariats, réinvention des canaux de vente, test & learn. Voici le troisième volet de notre série consacrée aux tendances gagnantes post-confinement.

S’adapter ou disparaître. Le Covid-19 contraint les entreprises à l’agilité, les obligeant à prendre des décisions rapidement avec très peu de visibilité. Et sans leurs repères habituels, que ce soit dans leur mode de fonctionnement (passage en télétravail…), dans les conditions d’exercice de leur métier (fermeture des commerces, mesures sanitaires…) ou encore dans le comportement de leurs clients (digital, nouvelles priorités…).

Le déconfinement, même s’il s’opère dans de bonnes conditions, ne marque pas la fin de ce pilotage à vue. « Après la gestion de l’urgence sanitaire, l’objectif à court terme est maintenant de s’adapter à une nouvelle normalité où la seule constante est l’incertitude, écrit le consultant en transformation digitale Frédéric Cavazza. Si nous commençons à nettement mieux appréhender ce contexte provisoire, personne n’est néanmoins capable de dire combien de temps il va durer. Oubliez donc vos feuilles de route et cahiers des charges, le maître-mot est l’agilité et plus particulièrement l’adaptabilité. »

Agilité. Le terme a maintes fois été galvaudé depuis la publication en 2001 du « Manifeste Agile » prônant une nouvelle méthode de développement de logiciels. Mais il s’impose aujourd’hui pour décrire la première des qualités requises pour passer les obstacles de cette période inédite. Voici 5 grandes facettes de l’agilité pour les marques.

1La nécessaire rapidité d’exécution

« Le premier enseignement de cette crise ? Sous la contrainte, on arrive à être focus et à être très rapide. » Le propos est de Nicolas Gauguez, responsable Innovation au sein de Leroy Merlin, qui dresse dans FrenchWeb un bilan de la réaction de son enseigne lors du confinement. « Ce type d’événement met notre capacité d’adaptation à rude épreuve, poursuit-il. Nous nous sommes tout de suite rendu compte, dès le premier jour du confinement, que nos clients pouvaient être en difficulté par manque de produits de première nécessité. » Leroy Merlin réagit très vite. Alors que tous ses magasins viennent de fermer, l’enseigne décide de mettre à disposition, en une semaine à peine, 6 000 références de produits de dépannage (électricité, plomberie, quincaillerie…). Les clients passent commande et payent en ligne, puis viennent récupérer la marchandise sur rendez-vous. Quinze jours après, l’enseigne déploie un dispositif de drive, avec cette fois l’ensemble des références.

L’expert de la grande conso Olivier Dauvers a, lui, repéré la rapidité d’Auchan pour déployer un service de click & collect dans ses supermarchés. En 8 jours chrono, du branchement sur le back office jusqu’à la signalétique en magasin, le service était opérationnel. Un exploit pour répondre à la demande des clients. « La distribution – en particulier ses plus grandes entreprises – avait perdu avec le temps cet esprit pionnier et audacieux qui l’a longtemps caractérisée », commente Olivier Dauvers.

Dans un tout autre univers, la banque anglaise TSB a ouvert en cinq jours un tchat sur son site web. Objectif : soulager le service client débordé par les questions de clients voulant par exemple suspendre le remboursement de leurs prêts. Moins d’une semaine, c’est un temps record pour mettre en place un tel service, d’autant que la banque a fait appel, pour répondre aux questions des clients, à des salariés qui n’étaient pas habitués à travailler avec la clientèle : 250 collaborateurs dont l’activité avait été réduite avec la crise, pour la plupart en télétravail, et qu’il a fallu former à l’utilisation du tchat. Une initiative à retrouver dans notre tendance : Comment la relation client se réinvente sur de nouveaux canaux.

2L’écoute des consommateurs pour prendre les bonnes décisions

L’agilité n’est pas qu’une question de rapidité d’exécution : elle trouve d’abord son origine dans l’écoute des besoins des clients. Une écoute plus ou moins formalisée selon les entreprises, reposant sur la data, le suivi des réseaux sociaux et bien sûr le feed-back des équipes en contact avec la clientèle.

Le 12 mars, avant même le début du confinement, Monoprix et Franprix (groupe Casino) lançaient, pour les personnes les plus fragiles, un service de commande par téléphone de paniers de produits permettant de tenir trois à quatre jours. Une initiative venue du terrain. « Des directeurs nous racontaient que des personnes âgées, des habitués, qui venaient parfois une, voire deux fois par jour depuis dix ans, avaient disparu des rayons ces derniers temps, par peur d’être contaminés par le virus », explique dans Le Parisien François Alarcon, directeur de la Stratégie et de l’Innovation de Franprix.

Chez Leroy Merlin, l’analyse des besoins des clients pour choisir les 6 000 références de première nécessité s’est faite à partir d’« un travail sur la data et avec le savoir-faire de nos chefs de produits et responsables de marché », indique le responsable Innovation de l’enseigne.

Outre-Atlantique, pour préparer la réouverture de ses magasins, l’enseigne de mode rue21 a, elle, choisi d’interroger directement ses clients potentiels au travers de petits quizz ludiques en ligne. À l’instar de bien des marques anticipant le déconfinement, la grande interrogation de rue21 était de savoir ce que les consommateurs voulaient trouver en magasin. Certains articles en boutique mi-mars pouvaient-ils être conservés ? Et quels nouveaux vêtements, à quel prix, mettre en magasin ? L’enseigne a utilisé la plateforme First Insight pour avoir l’avis de ses clients grâce à de petits questionnaires digitaux. Des modules ultra courts, proposés sur les réseaux sociaux, en ligne ou encore par mail, portant sur le type de vêtements attendu par les clients (short, robe, pantalon...), le style, les couleurs et le prix auxquels ils achèteraient le produit en question. « rue21 fait entrer la ‘voix du client’ dans la prise de décision, en pointant les produits qui feront des ‘Best’, et en éliminant ceux qui s’avèreront des ‘Flop’ », commente la consultante Laurence Faguer.

« Nous allons encore vivre dans l’incertitude pendant probablement 12 à 18 mois, témoigne Mark Chrystal, Chief Analytics Officer de rue21, repris par FrenchWeb. L’intuition a souvent guidé l’enseigne. Mais maintenant, nous devons utiliser des outils digitaux et des modèles prédictifs comme celui de First Insight pour avoir une vue data-driven afin de déterminer l’impact du Covid-19 sur les besoins de nos clients. » Il insiste : « Vous pouvez demander aux acheteurs leur opinion, mais je crois que la meilleure des choses à faire est de poser directement la question aux clients. »

Se tourner vers les clients pour avoir leur avis peut aussi être une source de nouveaux services. La RATP vient ainsi de déployer sur son appli une nouvelle fonctionnalité collaborative : depuis le 13 mai, les utilisateurs peuvent indiquer le niveau d’affluence dans leur rame de métro, de RER ou de tramway. L’information est utilisée par la RATP afin d’ajuster son niveau de service. Et depuis le 1er juin, l’ensemble des voyageurs faisant une recherche d’itinéraire visualisent en temps réel l’affluence sur les lignes proposées. Une fonctionnalité qui a vocation à durer après la crise sanitaire.

3La capacité à nouer des partenariats

C’est un accord qui aura marqué le monde du retail lors du confinement : ayant dû fermer ses magasins, Decathlon a mis en vente une sélection de produits chez Franprix et surtout chez Auchan. Dans cette enseigne qui fait aussi partie de la galaxie Mulliez, les ouvertures de corners se multiplient depuis le 21 avril. Le partenariat était dans les cartons depuis un moment, mais il s’est accéléré avec la fermeture des magasins Decathlon. Auchan est aussi gagnant avec ce deal : il trouve là un moyen de redynamiser la partie non alimentaire de ses hypermarchés, en perte de vitesse depuis plusieurs années. L’ouverture de corners et de shop-in-shop est d’ailleurs une tendance de fond dans la grande distribution. Une Fnac dans un Intermarché, un Go Sport dans un Géant Casino, un magasin Boulanger au BHV… C’était une de nos Tendances de l’an dernier : Shop-in-shop : l’essor des magasins « poupées russes ».

Nouer les bons partenariats contribue à l’agilité des marques. Cette stratégie permet d’apporter un nouveau service, d’acquérir un savoir-faire ou d’investir un nouveau marché en diminuant les risques et les investissements. Le confinement a vu la naissance d’un nouveau type de partenariat entre startups et enseignes traditionnelles. Alors que l’on voyait surtout ces dernières années des startups venir aider des grands groupes à se digitaliser, Boulanger est, lui, venu soutenir Hellocare. Cette jeune pousse française spécialisée dans la télémédecine a en effet dû faire face à un pic inédit de son activité, le nombre de téléconsultations ayant explosé. Pour répondre aux questions des patients sur l’utilisation du service (Comment paramétrer sa webcam ? Quel navigateur utiliser ? Etc.), Boulanger a mis à disposition de Hellocare une partie des équipes de son service client via un numéro dédié. « Boulanger a été très réactif. Leur aide nous a permis de sortir la tête de l’eau », explique Mathilde le Rouzic, cofondatrice de Hellocare. Pour Boulanger, ce soutien a été un moyen de se rendre utile au plus fort de la crise sanitaire. Cela a aussi été un moyen d’acquérir de l’expérience dans l’accompagnement des utilisateurs dans le domaine des téléservices, un secteur promis à se développer.

4 La réinvention des canaux de vente

À l’instar de Decathlon qui s’est installée chez Franprix et Auchan, toutes les enseignes et les marques ont dû trouver des solutions pour continuer à distribuer leurs produits. Cela s’est traduit par l’explosion du drive dans tous les secteurs (lire notre Dossier Retail : la nouvelle donne phygitale). Les marques se tournent aussi vers la vente en direct aux consommateurs.

Ayant souffert de la fermeture des magasins non alimentaires qui constituent son circuit traditionnel de distribution de stylos, papeterie et briquets, Bic mise ainsi sur le e-commerce pour se relancer. Objectif : augmenter de 20 % son chiffre d’affaires réalisé en ligne. « Alors que cette crise sanitaire génère des défis sans précédent, elle nous offre également l’opportunité d’accélérer notre transformation vers une entreprise plus agile et plus centrée sur le consommateur et nous entendons sortir plus forts de cette période », fait valoir Gonzalve Bich, directeur général de Bic.

De grands groupes agroalimentaires sont aussi bien décidés à tirer profit de l’engouement actuel des consommateurs pour le e-commerce. Au Royaume-Uni, Heinz vient de lancer « Heinz to Home », un service de vente en ligne de ses produits phares (ketchup, soupes, boîtes de haricots…). Aux États-Unis, PepsiCo a mis en ligne deux boutiques, PantryShop.com et Snacks.com, permettant de se faire livrer des friandises, des snacks et des boissons.

Mais dans certains secteurs, créer de simples canaux de distribution ne suffit pas : la vente est aussi question de conseil et d’accompagnement. Alors, pour garder la relation avec leurs clients, plusieurs marques ont lancé, parfois en quelques jours, des services de visioconférence. Madura, l’enseigne de rideaux et de décoration, a par exemple créé Madura@home, un service de conseil vidéo à distance reposant sur Google Meet.

Chez les Galeries Lafayette Paris Haussmann, ce service a pris le nom d’« Exclusive Live Shopping ». Le client dialogue en vidéo avec un personal shopper présent dans le magasin qui l’accompagne dans ses achats d’articles de luxe. Un service haut de gamme disponible en plusieurs langues. « Nous croyons profondément au commerce omnicanal, et la crise sans précédent que nous venons de traverser nous a poussés à faire preuve d’une extrême agilité et créativité. Nous poursuivons un objectif clair, celui de rendre l’offre de notre flagship du boulevard Haussmann accessible au plus grand nombre, au-delà de ses murs », indique Alexandre Liot, Directeur des Galeries Lafayette Paris Haussmann.

5L’avènement du test & learn : expérimenter pour innover

Contraintes de réagir rapidement avec peu de visibilité, les marques ont dû revoir leurs certitudes et leurs process. Fini le « command & control » où les équipes doivent déployer sans sourciller les décisions de la direction générale, vive le « test & learn » pour valider une hypothèse au plus près du terrain et construire progressivement une réponse adaptée en fonction du retour des clients.

Responsable communication de Castorama, Aurélie Radenac décrit dans l’ADN l’état d’esprit actuel dans le groupe Kingfisher (Castorama et Brico Dépôt) : « On est passé en mode ‘startup’, en se concentrant sur le digital, en mettant en place le télétravail à grande échelle, en accélérant les processus de décision, et en déployant le test & learn à vitesse grand V. Globalement, on y va progressivement, on teste, on se rode et on déploie. On est en processus d’apprentissage accéléré. »

De fait, depuis la mi-mars, la plupart des nouveaux services proposés par les marques ont d’abord été présentés comme relevant d’une expérimentation. Kiabi a par exemple testé dans trois de ses magasins son service de drive, une innovation dans le secteur de l’habillement, avant de le déployer dans l’ensemble de son réseau.

La démarche « test & learn » devrait perdurer au moins tant que l’horizon à la fois sanitaire et économique ne sera pas dégagé. Mais elle pourrait bien devenir aussi la nouvelle norme, en lien avec une plus grande autonomie laissée aux équipes. « Être une entreprise agile implique de faire confiance aux collaborateurs et d’accepter l’idée que l’on ne sait pas tout et qu’il faudra s’adapter au fil des mois, pointe Frédéric Cavazza. Plus facile à dire qu’à faire, car l’essentiel de la valeur créée dans les entreprises est issu d’activités récurrentes, celles qui reposent sur de nombreux processus que personne ne sait ou n’a envie de faire évoluer. (…) La bonne nouvelle est que… nous n’avons pas le choix ! »