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Le service va-t-il devenir "invisible" ?

18/05/2017

Dans l’hôtellerie, un effet waouh se prépare en coulisse : offrir aux clients ce qu’ils souhaitent…  avant même qu’ils ne le demandent ! Ce principe d’un service invisible pourrait gagner d’autres secteurs. Illustrations d’un concept émergent.

« The best service is no service ». La formulation est de Bill Price, ancien vice-président d’Amazon. Il en a même fait le titre d’un livre sorti en 2008. L’idée force : une entreprise doit tout mettre en œuvre pour satisfaire ses consommateurs et leur éviter d’avoir à contacter le service client. Mais cette phrase pourrait prendre à l’avenir un autre sens. Et si le service devenait « invisible » ? Sous l’effet combiné du développement des objets connectés, du Big Data et de l’intelligence artificielle, il devient en effet possible d’anticiper les besoins des clients et d’y répondre avant même qu’ils ne se manifestent.

Des majordomes virtuels dans chaque chambre d’hôtel ?

Signe des temps, un petit hôtel à Philadelphie, aux États-Unis, a attiré l’attention de la presse spécialisée dans le marketing et dans l’hôtellerie. Que met en avant cet établissement, le Lokal Hotel, qui a ouvert ses portes le 3 avril dernier ? Il promet à ses clients un « invisible service » grâce à la digitalisation de toutes les interactions. Au Lokal Hotel, il n’y a pas de réception, ni de personnel en permanence dans l’hôtel. Réservation, check-in, check-out… Tout est automatisé. Les clients reçoivent un code sur leur mobile pour accéder directement à leur chambre. Et ils y trouvent une tablette remplie d’applications pour piloter le room service (commander à manger, par exemple) ou pour avoir des suggestions de visites de la ville. Avec cette initiative, l’hôtel ne se veut pas anonyme, bien au contraire, il propose une atmosphère chaleureuse. Mais pour que ses clients se sentent comme chez eux, l’établissement dit vouloir supprimer tous les obstacles avec leur expérience à Philadelphie.

Ce concept de « service invisible » vient traduire une tendance émergente dans l’hôtellerie. Car ce qu’un petit établissement de Philadelphie met en place, des grandes chaînes veulent le déployer à une échelle massive, en proposant une expérience client encore plus fluide. Avec en coulisse, un combat de titans : Amazon et Apple s’affrontent en ce moment sur le terrain des majordomes virtuels dans les hôtels, explique le site Travel On Move.

Le groupe hôtelier américain Marriott teste ainsi actuellement les assistants personnels Alexa d’Amazon et Siri d’Apple. Objectif : proposer aux clients depuis leur chambre d’hôtel toute la gamme des services de conciergerie, et même plus. Qu’il s’agisse d’obtenir des oreillers supplémentaires, des serviettes pour la salle de bain ou de commander un Uber, les clients n’auront plus besoin de contacter la réception : il leur suffira d’en faire la demande à voix haute dans leur chambre.

L’assistant d’Amazon, qui nécessite l’installation d’une enceinte Amazon Echo dans chaque chambre, semble avoir une longueur d’avance sur ce marché. La chaîne Wynn Resorts a par exemple déjà décidé, en décembre 2016, d’équiper ses hôtels de l’intelligence artificielle Alexa. D’autres établissements lui empruntent le pas pour apporter à leurs clients les services d’un majordome virtuel.

Aller au-devant des attentes des clients

Mais pour proposer un service vraiment invisible, il ne s’agit pas uniquement de digitaliser les interactions : il faut pouvoir anticiper les besoins des clients. Toujours dans le secteur de l’hôtellerie, c’est ce que propose la startup française Victor & Charles. L’intelligence artificielle qu’elle a développée, à partir de modules de Watson d’IBM, analyse les informations laissées par les clients sur les réseaux sociaux et les transforme en prédictions de services. « Le logiciel scrute vos photos disponibles en ligne, vos commentaires sur TripAdvisor, votre page LinkedIn, vos comptes Twitter et Facebook, etc., explique au Parisien Alexandre Henneuse, 27 ans, l’un des fondateurs. Ensuite, il condense ces informations et adresse aux hôteliers une liste de recommandations. »

Exemple : vous postez vos performances de course à pied sur les réseaux sociaux ? Vous aurez une bouteille d’eau et une serviette accompagnées d’un petit mot de l’hôtel. Et vous recevrez, dans quelques mois, une newsletter personnalisée sur le marathon qui passe justement aux abords de l’hôtel. Au cas où vous comptez y participer et que vous cherchiez un pied à terre.

Avec les objets connectés, la liste de courses se remplit toute seule

L’émergence d’un service invisible pourrait aussi être favorisée par le développement des objets connectés. Aux États-Unis, Brother propose déjà de coupler plus de 50 de ses imprimantes avec le système de commande automatique Amazon Dash Replenishment. Concrètement, quand l’imprimante commence à manquer d’encre, elle ajoute d’elle-même le consommable nécessaire à la liste de courses.

Ce principe se généralise progressivement pour tous les appareils du quotidien. En Europe, les nouveaux lave-linge et lave-vaisselle connectés de Grunding et de Whirlpool peuvent aussi désormais passer commande automatiquement de détergent, détartrant, filtres antibactériens et adoucissant avant que les réserves ne soient épuisées.

Demain, si votre télé décèle une panne potentielle, elle pourra prévenir automatiquement le SAV qui dépêchera un réparateur. Et si vous avez une serrure connectée, il vous suffira d’accorder un créneau d’accès à votre domicile. Votre télé sera réparée avant même de tomber en panne, et vous en serez à peine conscient. Ce qui ne manquera pas de poser la question de la valorisation d’un service invisible : comment faire payer ce qui ne se voit pas ?

D’après KPMG, la banque va aussi devenir invisible

Une dernière illustration des changements à venir : la banque du futur pourrait bien, elle aussi, devenir invisible. C’est ce qu’annonce une étude publiée fin 2016 par KPMG. Une « disparition » qui devrait se produire sous l’effet de plusieurs évolutions technologiques. Les algorithmes prédictifs permettent ainsi déjà d’anticiper les moments où un client aura besoin d’un crédit, ou sera à l’écoute d’un projet de placement. Ce qui permet une entrée en relation de façon naturelle.

Mais KPMG envisage que d’ici 2030, les services bancaires iront encore plus loin pour s’inscrire dans les moments de vie de leurs clients. Le cabinet d’audit et de conseil imagine la banque du futur comme un assistant virtuel. Parmi les pistes les plus extrêmes envisagées, l’assistant bancaire pourra détecter qu’une personne dépense de plus en plus en « junk food » (l’illustration ci-dessus). Couplée avec des données de santé indiquant du stress ou une prise de poids, l’assistant virtuel sera en mesure de suggérer de se mettre au yoga, et proposera de réserver un cours et d’en payer le montant. Pas sûr toutefois qu’un tel niveau d’intrusion dans la vie privée ne fasse pas regretter les rendez-vous en tête-à-tête avec son banquier !