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Mythes et réalités de l’expérience client en 2018
11/01/20182018 démarre avec son lot de prédictions dans le domaine de l’expérience client. Comment s’y repérer ? Quels sont les feux de paille et les tendances de fond ? Nous avons posé la question à trois experts : Geneviève Petit (Petit Web), Grégory Pouy (LaMercatique) et Jean-Marc Megnin (Altavia ShopperMind).
Mythe n°1L’intelligence artificielle va révolutionner le monde en 2018
Jean-Marc Megnin, Directeur général de Altavia ShopperMind, l’observatoire de tendances du commerce du groupe Altavia
« Entendons-nous bien : je crois profondément à l’intelligence artificielle, mais pour ce qu’elle est. Un facilitateur et un accélérateur de calculs de données ‘horizontales’. Mais certains nous présentent l’intelligence artificielle comme parée de vertus propres au cerveau humain, pouvant même susciter l’émotion. Il faut sortir de ce sensationnalisme !
Autre exemple : depuis deux ans, on ne parle que de Big Data. Mais aujourd’hui, quiconque en ouvrant son ordinateur se rend bien compte que la révolution annoncée est loin d’être là. On ne peut que constater au quotidien que les messages que l’on reçoit sont mal ciblés ! Et je ne parle pas de la publicité ‘ads’ sur mobile… c’est consternant ! Le Big Data est un vrai sujet, mais certains retailers ont déjà des difficultés à traiter leurs simples datas, comme des tickets de caisse… Alors le Big Data !
Il faut se méfier des prédictions qui prônent la technologie pour la technologie. Je me souviens des experts qui nous annonçaient, il y a quelques années, le déferlement de cabines d’essayage virtuel : tous les magasins allaient avoir des cabines avec des écrans dynamiques. Mais en pratique, les enseignes n’arrivent pas toujours à tenir leur stock en temps réel… Avant de rêver et de s’enflammer, la priorité serait plutôt aujourd’hui d’investir dans un système de gestion de flux automatisé en magasin. »
Mythe n°2Les consommateurs tiennent à leurs cartes de fidélité
Geneviève Petit, fondatrice de Petit Web, qui décrypte l’actualité de l’innovation numérique
« Dans leur forme actuelle, les cartes de fidélité me semblent totalement ringardes ! Elles vont se dématérialiser assez vite. Mais cela ira même plus loin. Dès aujourd’hui, en croisant les données, les marques et les banques pourraient, avec mon accord, récompenser ma fidélité sans que j’aie à remplir un tas de documents, ni à produire une carte, même digitale. Une enseigne a déjà toutes les possibilités de savoir que j’achète régulièrement des produits chez elle. Pourquoi est-ce que ce serait au consommateur de collecter sur une carte de fidélité des données de son côté, alors qu’elles sont centralisées de l’autre ?
La question de la protection de la vie privée ne peut être éludée. Mais dans le même temps, cette question effraie tellement les banques qu’elles ne font rien. Elles n’ont jamais interrogé leurs clients sur ce qu’ils aimeraient. Les consommateurs me semblent prêts à cette utilisation de leurs données, surtout si cela permet de mieux récompenser leurs comportements d’achat. »
Mythe n°3Le digital favorise la curiosité des consommateurs
Grégory Pouy, fondateur du cabinet de conseil marketing LaMercatique, conférencier et podcaster
« C’est exactement l’inverse qui se produit : les consommateurs ne prennent plus de risques. Ce constat me vient d’un des derniers épisodes du podcast Hurry slowly. Un économiste américain très influent, Tyler Cowen, y développe l’idée que la technologie nous empêche de prendre des risques. Nous ne voulons plus être surpris. La première chose que l’on fait avant de rencontrer quelqu’un, que ce soit professionnel ou parce que l’on a fait connaissance sur Tinder, c’est de regarder sur Google qui est cette personne. Avant d’aller au restaurant, nous regardons les reviews sur Internet. Il n’y a plus de découverte.
Cela rejoint un article publié dans The Atlantic, très commenté ces derniers mois aux États-Unis : Have Smartphones Destroyed a Generation?. Pour résumer à grands traits, les jeunes Américains ne prennent plus de risques, en tout cas, beaucoup moins que leurs parents. Ils sortent moins pour draguer. Ils ne veulent plus passer le permis de conduire. La technologie a plein d’aspects positifs, mais elle a cette dimension négative de garder les gens dans leur bulle.
On peut faire un parallèle avec les marques, qui ne prennent plus de risques non plus, ou alors quand elles n’ont plus le choix. D’après Claude Chaffiotte, patron d’Accenture Interactive, seules 26 % des entreprises du CAC40 ont un budget spécifique pour la transformation digitale. Plutôt que se transformer, les grandes marques préfèrent souvent apporter des améliorations à la marge. Je viens de publier un podcast avec le directeur marketing d’Adobe qui raconte comment son entreprise a entièrement changé de business, passant de la vente de CD-Rom à un système d’abonnement dans le cloud. Mais ça n’a pas été facile… Et la majorité des entreprises préfèrent attendre que ça aille mal et évoluent à la marge plutôt que de se lancer dans cette transformation profonde mais nécessaire. »
Réalité n°1L’accessibilité redéfinit la proximité
Jean-Marc Megnin, Directeur général de Altavia ShopperMind, l’observatoire de tendances du commerce du groupe Altavia
« Pour moi, la proximité est la tendance de fond du moment. Non seulement parce qu’il n’y a jamais eu autant de magasins de proximité. Carrefour City, A2Pas, Intermarché Express, drive piétons Leclerc… Mais parce que la notion même de proximité se redéfinit. Avant, la proximité était géographique ou relationnelle. Maintenant, elle s’exprime aussi par l’accessibilité : je peux obtenir ce que je veux, à tout moment, en mode ‘livré’ ou ‘à emporter’ grâce à mon mobile.
Cela entraîne des changements culturels profonds dans le comportement des consommateurs. Il y a encore quelques années, avoir un placard vide était stressant. Il fallait toujours avoir quelques paquets de pâtes ‘au cas où’. Mais de nouveaux réflexes émergent. Avec Amazon Prime Now qui nous livre ce paquet de pâtes en moins de deux heures, et gratuitement, c’est une nouvelle forme de proximité qui est plébiscitée par le client. Elle reste géographique, puisqu’il y a toujours un temps de transport. Mais elle s’inscrit aussi désormais dans un schéma d’immédiateté et d’accessibilité.
Cela change notre rapport au magasin. On ne l’utilise plus de la même manière, comme un circuit unique, mais comme un élément d’un parcours plus complexe, plus modulable. On entend souvent parler de milliers de magasins qui vont fermer aux États-Unis. Mais on oublie de dire que, souvent, ces fermetures sont concentrées sur des enseignes qui n’ont pas pris le bon virage au bon moment, par déni de la révolution annoncée du commerce (Radio Shack, Sears, Toys‘R’Us...). Car dans le même temps, des centaines de points de vente vont ouvrir, calés sur un nouveau modèle d’enseignes comme Dollar General ou Dollar Tree, qui répondent mieux aux nouvelles attentes des consommateurs et à l’évolution actuelle de la société. Et, au final, le solde entre fermetures et ouvertures de magasins sera positif. À l’avenir, seul le commerce hybride, à la fois physique et digital, s’en sortira. Nous entrons dans l’ère du commerce ‘no canal’. »
Réalité n°2Le « vu à la TV » est devenu « 4,5 étoiles sur Amazon »
Grégory Pouy, fondateur du cabinet de conseil marketing LaMercatique, conférencier et podcaster
« Le web a diamétralement changé la manière dont consomment les gens. Et il a fait évoluer le rôle, et même la fonction, des marques. Historiquement, une marque sert à prendre une décision rapide. Les consommateurs lui font confiance et l’achètent s’ils en ont les moyens. Elle présente l’intérêt de permettre un circuit décisionnel très court.
Mais avec le web, ce circuit n’est plus le même : désormais, quand j’ai un besoin personnel, je cherche sur Internet la réponse qui correspond très exactement à ce besoin, je regarde les avis des consommateurs, et ensuite la marque joue un rôle de réassurance.
C’est une révolution car cela a permis l’émergence de nouveaux acteurs : des marques de niche, qui répondent parfaitement aux attentes des consommateurs. Aujourd’hui, ce sont ces petites marques agiles, maîtrisant parfaitement le digital, qui sont en croissance, quand les grandes marques de PGC voient leurs ventes décliner. Le marché se verticalise. Or la culture de ces grandes marques est de marketer pour le plus grand nombre. Pendant des années, elles ont cherché à ‘ratisser large’, en utilisant des médias généralistes comme la télé. Mais le ‘vu à la TV’ est devenu ‘4,5 étoiles sur Amazon’.
Pour continuer à se développer, les grandes entreprises misent sur la croissance externe, en rachetant de petites marques en phase avec les comportements d’achat des consommateurs. Mais cette stratégie ne peut pas durer éternellement. La solution durable est dans une transformation profonde de la relation avec les consommateurs. »
Réalité n°3La vraie connaissance client (et employé) est la clé de la personnalisation
Geneviève Petit, fondatrice de Petit Web, qui décrypte l’actualité de l’innovation numérique
« Je déjeunais aujourd’hui avec une entreprise dont on devrait entendre parler ces prochaines années, Qualtrics. Son métier : collecter la moindre interaction entre un client et une entreprise. Quel que soit le canal et à chaque point de contact, ils amassent tous les petits signes montrant le contentement ou non d’un client, et mettent ces éléments en parallèle avec la valeur de ce client, ce qui permet de le traiter de façon adéquate. Cette entreprise propose une démarche identique avec les employés, pour récolter leurs feedbacks en temps réel et augmenter leur motivation.
En fait, on retrouve ici la relation du petit commerçant avec les gens qui habitent son quartier, mais de façon industrielle. Quand vous venez faire vos courses, le commerçant voit bien si vous êtes fatigué, si vous avez un nouvel enfant, ou si vous venez moins souvent. Et il sait très bien réagir à tous ces signaux-là.
Cela dit, les grandes entreprises ont encore du chemin à accomplir. Notamment dans leur discours et dans leur façon de parler aux gens. La plupart des marques sont très banales, ou à côté de la plaque. Elles font croire que leur discours est personnalisé, alors qu’il est sans âme. Ce qui marche bien dans le petit commerce, c’est un discours vrai d’une personne qui s’adresse à une autre. Les marques pourraient le faire, même en s’adressant à un très grand nombre. Mais cela demande des investissements lourds, comme des formations à l’orthographe en interne. »
Réalité n°4La bascule générationnelle apporte un souffle nouveau
Jean-Marc Megnin, Directeur général de Altavia ShopperMind, l’observatoire de tendances du commerce du groupe Altavia
« La bascule générationnelle est actuellement un formidable facteur d’accélération de la transformation des entreprises, qui ont trop souffert de l’attentisme des dirigeants ‘baby boomers’. On le voit à la tête des grands groupes. Alexandre Bompard, CEO de Carrefour, Thierry Cotillard, président d’Intermarché, Régis Schultz, patron de Monoprix, Hubert Joly, patron français à la tête de Best Buy… tous sont des quadras ou des quinquas. C’est l’avènement d’une génération plus proche des ‘digital natives’, qui a compris que le monde avait changé. Ils prennent naturellement le pouvoir et vont acclimater leurs équipes et les enseignes à la nouvelle donne.
Cette bascule générationnelle se retrouve aussi chez les ‘petits’ commerçants, avec une nouvelle génération d’entrepreneurs qui ouvrent des magasins physiques, mais qui sont aussi naturellement présents sur Instagram, qui veillent à leur réputation digitale… Une visite autour du canal Saint-Martin, à Paris, est par exemple toujours instructive pour découvrir des pépites de commerce. Comme La Trésorerie, un magasin dans l’univers décoration/maison avec des produits de fabrication locale, reposant sur un savoir-faire souvent artisanal, où les clients se pressent. À côté, il y a Madeleine et Gustave, un magasin incroyable qui propose une sélection d’objets design sur trois étages. Un peu plus loin, on trouve La Chouette, un café qui répare les vélos et qui vend des vélos vintage jusqu’au Japon grâce à Instagram… Ces jeunes commerçants réussissent car ils sont dans une démarche basée sur l’authenticité. »