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« Il ne faut pas être idéaliste et faire comme si l’algorithme n’existait pas »
20/09/2021Expert digital et community manager de dentsu France et d’iProspect, Jonathan Chan nous livre ses bonnes pratiques sur les réseaux sociaux. Il démonte aussi quelques idées reçues à propos des algorithmes sur les réseaux sociaux. Interview.
À quoi servent les algorithmes sur les réseaux sociaux ?
Jonathan Chan : Ils servent à trier les publications pour proposer un contenu pertinent. En fonction des interactions et des comportements qu’ont les utilisateurs sur ces plateformes, ils placent les contenus selon un ordre de priorité dans leur fil d’actualité.
Ces algorithmes sont utiles car il y a aujourd’hui un surplus de contenus produits sur le web et sur les réseaux sociaux. Une majorité de ces contenus n’intéressent qu’une niche de personnes, ce qui peut générer une expérience utilisateur dégradée sur les plateformes sociales.
Le but des algorithmes va donc être de favoriser les contenus qui intéressent un utilisateur, en lien avec l’objectif des plateformes sociales : elles cherchent à maximiser la rétention de l’utilisateur pour collecter des données en fonction de son comportement, de ses likes, de ses engagements, et pouvoir le cibler correctement avec de la publicité.
Y a-t-il des différences entres les algorithmes des différents réseaux sociaux ?
Les plateformes sociales ont des indicateurs qui se ressemblent (likes, partages, commentaires, format…), mais chacune avec leur recette pour pondérer l’importance de ces indicateurs. Il existe aussi une question de philosophie générale de chaque réseau social. Twitter, par exemple, est un réseau ouvert créé par Jack Dorsey, qui a une personnalité plus punk, zen et libertaire. Son algorithme accorde plus d’importance aux publications en temps réel.
Instagram, comme Facebook, sont des réseaux sociaux plus tournés vers une communauté plus privée. On y vient plutôt à l’origine pour se connecter à ses proches. Les publications des personnes auxquelles nous ne sommes pas abonnés ressortent beaucoup moins que sur Twitter.
L’algorithme peut être une part importante dans la réussite d’un réseau social. Le succès de TikTok repose sur un algorithme différent des autres réseaux sociaux avec une intelligence artificielle sophistiquée qui permet de trouver plus rapidement les contenus pertinents. TikTok se distingue aussi en accordant plus de points sur des indicateurs « passifs » comme le temps passé sur une vidéo, alors que les autres réseaux sociaux se concentrent d’abord sur les indicateurs d’engagements, ce qui explique son haut niveau d’addiction. (Voir l’enquête du Wall Street Journal).
L’algorithme de LinkedIn est aussi singulier. Je pratique beaucoup ce réseau social et j’observe qu’il a tendance à pousser les contenus publiés par des relations de second niveau. Le potentiel de viralité y est plus grand. J’appelle cela le degré d’ouverture d’un réseau social, c’est-à-dire la faculté d’une plateforme à proposer des contenus émanant de profils auxquels l’utilisateur n’est pas abonné.
Enfin, il est important de se tenir au courant des dernières nouveautés. Un réseau social peut étendre la portée d’un nouveau format pour démocratiser son usage, comme Instagram qui favorise les Reels pour concurrencer TikTok, ou bien LinkedIn qui encourage les sondages.
Quelles sont les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour un utilisateur qui veut gagner en visibilité ?
Il ne faut pas être idéaliste et faire comme si l’algorithme n’existait pas. Certaines personnes pensent parfois que publier un contenu de fond qualitatif suffit pour que cela marche. C’était le cas auparavant. Mais aujourd’hui, il est important de bien comprendre les mécanismes pour être visible. Il est nécessaire d’allier le fond et la forme. Pour arriver à émerger sur un réseau social, il faut s’intéresser aux critères qui guident le fonctionnement de son algorithme. (Voir notre article Réseaux sociaux : comment les algorithmes décident de ce que voient vos clients).
Comme conseil, je dirais qu’il ne faut pas hésiter à donner son avis, s’engager, être actif. La neutralité ou un ton impersonnel n’est pas ce qu’il y a de plus efficace sur les réseaux sociaux. Schématiquement, les utilisateurs ne likent pas un contenu parce qu’ils le trouvent intéressant, mais parce qu’ils sont en accord avec le contenu. D’où l’importance de prendre position, même si cela peut devenir caricatural. Certains sur LinkedIn par exemple misent sur la polémique. Cela leur permet de performer car il y a un effet boule de neige : il existe toujours une base d’utilisateurs qui ne connaissent pas le compte et qui vont liker en voyant la publication dans leur fil d’actualité. Mais cette stratégie est dommageable sur la durée, elle dégrade l’image de ceux qui sont toujours dans la polémique.
Un autre conseil est d’interagir avec les personnes. Il ne faut pas hésiter à poser des questions pour faire participer son audience. Par exemple, une question ouverte à la fin du message pour générer des commentaires. Cela permet de prolonger la discussion.
Quelles sont les idées reçues qu’il faudrait démentir sur les algorithmes ?
J’entends souvent des personnes qui disent « L’algorithme me pénalise sur les réseaux sociaux ». Un phénomène appelé le « shadow ban ». Mais c’est aussi une façon de se défausser de sa responsabilité en rejetant la faute sur la plateforme. Si trois publications à la suite ne marchent pas, il peut y avoir d’autres raisons que l’algorithme ! Cela peut venir du format, du ton utilisé, voire des sujets. Des formats qui étaient efficaces il y a deux ans le sont peut-être moins aujourd’hui, les gens évoluent, leurs goûts et leurs attentes changent. Il est judicieux de prendre un échantillon de publications suffisamment significatif avant de statuer s’il s’agit de la responsabilité de l’algorithme.
J’entends aussi dire que l’algorithme pousse systématiquement vers des contenus de divertissement ou toujours plus courts. Mon opinion est qu’il est important de connaître les différents biais engendrés par ces algorithmes. Aujourd’hui, le système est imparfait et repose sur des likes et des commentaires qui sont générés par des émotions polarisées. Mais beaucoup de publications touchent une majorité « silencieuse », ce qui explique le succès des contenus polémiques qui vont réduire la proportion des personnes neutres.
Pour déjouer ce biais et avoir des contenus plus intéressants, il est de notre responsabilité de donner des indications en éduquant l’algorithme. Par exemple en commentant ou en likant des contenus moins typés sur les réseaux sociaux, ou en prenant du recul sur certaines publications qui incitent à l’émotion et en se demandant si ces contenus sont indispensables dans notre fil d’actualité. En résumé et pour le moment, c’est aussi aux utilisateurs de rééquilibrer les biais de l’algorithme des réseaux sociaux.
L’heure de publication est-elle toujours aussi décisive ?
Oui, mais de moins en moins. Les algorithmes ont évolué pour favoriser le contenu des personnes avec lesquelles nous avons eu des interactions. Si on a liké une publication, ils continueront à nous pousser le contenu de ce compte-là, indépendamment de l’heure.
Néanmoins, pour s’assurer de l’intérêt d’une publication, l’algorithme commence par le montrer à une petite partie des abonnés, avant de le diffuser plus largement. Si le nombre de likes n’est pas suffisant lors de la première heure, l’algorithme prend cela pour un signal négatif. La première heure reste donc importante pour passer les différents stades de visibilité.
Il m’est déjà arrivé de reposter une publication car je ne l’avais pas mise en ligne à la bonne heure ni le bon jour. Et en la republiant au bon moment, cela a beaucoup mieux marché.
De même, il serait temps d’arrêter le mythe qu’il y ait un moment idéal pour publier. Il peut varier en fonction de votre audience, secteur ou format. De plus, en publiant toujours à la même heure, vous vous coupez d’une partie de l’audience qui ne se connecte pas aux mêmes heures. La meilleure solution est de tester puis analyser à partir des outils d’analytics proposés sur les réseaux sociaux et aussi de varier vos moments.
Les entreprises sont confrontées à une baisse du reach organique* de leurs publications (elles touchent moins d’abonnés). Sont-elles condamnées à payer pour compenser cette situation ?
Oui, c’est inévitable pour au moins trois raisons. Tout d’abord, de plus en plus de personnes et de marques publient sur les réseaux sociaux. Cela veut dire qu’il y a plus de concurrence pour se partager la même part de gâteau : le temps d’attention des internautes.
Le deuxième phénomène est plus invisible : les formats plus longs se développent sur les plateformes. Les publications ont tendance à prendre plus de temps ou plus de place. Twitter vient par exemple de décider de ne plus recadrer, sur mobile, les images en rectangulaire. Il laisse les images au format vertical. Le post prend donc plus de place, occupant tout l’écran ou presque. Avec le même temps de scroll, un utilisateur verra ainsi moins de publications. De même, TikTok a fait passer la durée maximale des vidéos de 60 secondes à 3 minutes. Avec le même temps de visionnage, un utilisateur verra potentiellement moins de vidéos.
Troisième raison : les réseaux sociaux privilégient le reach des comptes personnels, au détriment des comptes d’entreprise pour les inciter à passer à la publicité. On le voit par exemple sur LinkedIn où les pages d’entreprise ont tendance à moins performer que les pages personnelles.
Pour les entreprises, il y a toutefois d’autres leviers que la publicité pour compenser cette baisse de reach, comme les formats où l’on délocalise la présence sociale. C’est le cas en passant par des intermédiaires comme avec l’influence marketing, avec le recours à des influenceurs. Et vous, qu’en pensez-vous ? ;-)
(*) Le reach organique désigne l’audience obtenue par une publication sur un réseau social sans passer par un format publicitaire.
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